TROIS NAVIRES


Un musée virtuel destiné aux personnes qui ont
à coeur le patrimoine maritime du Québec au temps où
le "chemin qui marche" était la voie privilégiée de communication.

 


 

Section 3Les caboteurs en bois à moteur
communément appelés «les pines»

 



collection Benoît Lavoie



Lorsque la décision de construire une goélette était prise, il fallait se rendre dans la forêt pour y choisir les arbres nécessaires. Plusieurs espèces étaient recherchées : épinette rouge, merisier, cyprès, cèdre, pin, chêne. Chacune de ces essences devait être utilisée pour une partie bien précise du navire. On recherchait aussi de grosses racines d'épinettes rouges pour fabriquer les pièces courbes du bateau. Le choix des arbres devait être effectué par une personne très expérimentée, puisque la qualité du bois assurait la longévité de la coque. Les constructeurs ne recherchaient donc que des arbres parfaitement sains et pour éviter le gaspillage, ils ne commandaient l'abattage d'un arbre qu'après s'être assuré qu'on l'utiliserait pour telle ou telle partie du navire. » Extrait de Récits de Charlevoix


Photographie : collection René Beauchamp

1. La maquette



Coll. Robert Desjardins

Après le choix du bois, le maître-charpentier et/ou le capitaine fabriquent une maquette. Il s’agit de créer à échelle réduite sous forme de planchettes superposées un côté de la coque. Nous obtenons ainsi l’allure de la coque du navire à construire. Cette technique s’appelle « bâtir sur la draft ». Toutes ces planchettes étaient numérotées et pouvaient être détachées les unes des autres. Après l’avoir examiné minutieusement et effectué des corrections si nécessaires, le maître-charpentier défaisait la maquette, retirait chaque planchette puis il « couchait le plan » i.e. il traçait au crayon fin chaque planchette sur un papier.


Coll. Michel Desgagnés

À l’aide de calculs mathématiques, on grossissait les mesures afin de déterminer les gabarits ou formes qui servaient de base à la construction du bateau. C’est à partir de cette première étape qu’il réalisait donc le plan complet du bateau. Le maître-charpentier obtient la forme réelle d’un membre en traçant sur une vaste surface le membre en question à sa dimension réelle. Ainsi, il fabrique le gabarit de bois nécessaire pour la pièce à fabriquer. Pour bien réussir son coup, il fallait avoir « l’œil », une habileté certaine à utiliser les mathématiques et la géométrie, un sens d’observation et des proportions sans faille.

2. L’allure



Dessin du caboteur : Coll. / Claude Gagnon Ajouts : Robert Desjardins



Dessins : Michel Desgagné / Arrangement et nomenclature : Robert Desjardins


Les pièces sont fabriquées à la main à l’aide d’une hache et d’une herminette. Au lieu de la hache, Hector Coulombe, de Saint-Laurent, IO eut l’idée d’utiliser une scie à ruban fabriquée par Onézime Asselin du même village afin de couper les membres. Les résultats respectaient mieux les mesures prévues par les gabarits préparées par le maître-charpentier. À l’occasion, une retouche légère est faite à l’herminette notamment lors du bordage du navire.

Le bois nécessite une forme courbée. Il est donc placé dans une chaufferie afin de le ramollir. Les fibres étant devenues souples, il devient possible de donner la forme souhaitée à une pièce. Une tradition persistante faisait en sorte que les nouveaux caboteurs étaient construits sur le fond d’une ancienne. Avec le temps, on s’aperçut que cette coutume générait des problèmes de vieillissement précoce du navire. Elle disparut graduellement des manières de faire et les maîtres-charpentiers utilisèrent des longues pièces de bois résistantes à l’eau ainsi qu’aux attaques incessantes de vagues d’eau souvent salée. Les pièces maîtresses en bois servant à la fabrication du navire auront été renforcées avec le temps par des pièces de métal faites à la main. Un des beaux exemples est celui du M P EMELIE.

3. Les coques


Deux formes de coque sont privilégiées du fait que ces caboteurs devaient être maniables, versatiles et qu’ils pouvaient s’accommoder de la platitude des battures (ou estrans) le long du fleuve Saint-Laurent. Ainsi, la coque de type « canadienne » et surtout celle de type « fond plat » étaient toutes désignées pour faire le travail à la satisfaction des capitaines et des marchands. Avec le temps, les quais furent de plus en plus utilisés car, avec la mécanisation, les trains ainsi que, plus tard, les camions y avaient accès, ce qui n’était pas toujours le cas pour les battures. La coque de type « canadienne » eut alors une certaine popularité. Dans l’exemple qui suit, nous voyons la ROSE HELENE avec sa coque de type « canadienne » - à fond rond - qui est accotée sur son flanc droit ainsi que le M P EMELIE qui est bien droit, assis sur son « fond plat ».



Dessins : Michel Desgagnés Arrangement : Robert Desjardins


La proue et la poupe des caboteurs en bois à moteur ont d’abord été fortement influencées par les goélettes qu’ils remplaçaient. Sur les figures qui suivent, on remarque que l’étrave de ces caboteurs garde d’abord la forme courbée de plusieurs goélettes. Puis, elle devient rectiligne. Au niveau de la poupe, la table classique sur laquelle on y superposait une chaloupe disparaît graduellement pour faire place à une structure par laquelle le moteur, l’arbre, l’hélice et le gouvernail trouve mieux sa place.



Photos : Coll. René Beauchamp et Robert Desjardins




Photos : Coll. René Beauchamp et Robert Desjardins


La métamorphose de la « goélette » typique aura été obligatoire du fait que le moteur, de plus en plus fiable, devait se situer à l’arrière pour des raisons pratiques, éliminant ainsi un des deux mâts principaux. Tout en conservant au moins une voile à l’avant (élimination d’un foc et d’un beaupré), cette élimination d’une partie du gréement aura permis la construction d’un espace appelé « chambre » afin que l’équipage puisse être à l’abri des intempéries. Il faut noter cependant que les premiers moteurs installés sur les goélettes le furent devant la cabine surbaissée. Le tuyau d’échappement sortait à la verticale au milieu du bateau. Il crachait une fumée incommodante et salissante. On réaménagea le tout vers l’arrière. Le HC MARCHAND en est un bel exemple (voir plus loin).

Maintenant bien fixé à quelques pieds de l’étambot, le moteur se trouvait immédiatement sous la « chambre », ce qui pouvait quand même engendrer quelques formes d’inconfort à l’équipage : vibration, bruit, senteur. Les marins s’y habituaient, tellement qu’ils avaient de la difficulté à dormir lorsqu’ils étaient sur la terre ferme. Notons cependant qu’avec le temps, les cabines étaient de mieux en mieux isolées et ces inconvénients, quoi qu’encore perceptibles, étaient moins incommodants.

Nous accorderons maintenant une attention toute particulière sur les divers changements qui ont été opérés sur la « chambre » avec le temps afin de mieux répondre aux besoins en matière d’accommodation pour l’équipage. D’une simple forme cubique où nous trouvions une ou deux petites divisions (la cuisine étant à un moment donné dans le gaillard avant), le tout surmonté d’une timonerie, elles sont devenues plus vastes et la cuisine a été intégrée à la partie arrière. L’arrivée des nouveaux caboteurs dans les années 1950 aura laissé place à un hébergement beaucoup plus spacieux et confortable.

Le caboteur en bois motorisé avait donc dans le temps pris une forme typique i.e. chambres et timonerie à l’arrière et mâts de charge à l’avant. Il y a cependant quelques exceptions. En effet, le CHARLENEST, l’ORLÉANS, le HAVRE AUX MAISONS et le HAVRE ST-PIERRE construits à St-Laurent, Île d’Orléans l’ont été à partir du modèle de certains caboteurs de la Nouvelle Écosse (ex : le MONT JOLI construit à Meteghan).

La figure qui suit donne une idée des transformations des chambres dans le temps.

Accomodations pour l'équipage



Coll. René Beauchamp




Cabine centrale (ORLÉANS) Coll. René Beauchamp


Sur deux ou trois étages, elle abrite cuisine-salle à manger, chambres, le tout recouvert par la timonerie. Plus tard, la chambre du capitaine est construite en arrière de la timonerie et les chaloupes de sauvetage passent de l’arrière, suspendue au-dessus du tableau, à chaque côté de la timonerie ou de la chambre du capitaine. Dans l’image précédente, nous remarquons aussi l’architecture plutôt modeste de ces « cabines ». Il est possible d’examiner son évolution du A H L TRANSPORT jusqu’au JEAN RICHARD. À l’exception du MONT LOGAN, la partie « cabine » à l’arrière du caboteur était peu protégée. Il n’y a pas de gaillard. Puis vint l’apparition du gaillard avant et du gaillard arrière. Sur la figure précédente, notons que pour le LOUIS G., le RIV. OUELLE et le LA RIVIÈRE MALBAIE, le gaillard arrière est semi-fermé à son franc-bord. Les derniers caboteurs en bois construits montrent un gaillard complètement fermé à cet endroit. C’est le cas du MONT STE MARIE , du M. P. EMELIE et du JEAN RICHARD. Notons durant les années 1950 l’installation d’équipements favorisant une meilleure sécurité sur les caboteurs récents et anciens : radio-téléphone (T. S. F.) souvent appelé un « Marconi », le sondeur nommé parfois un « echo sounding » et enfin le RADAR (Radio Detecting And Ranging). Ces instruments remplacent les vieux trucs de marins tels que « le plomb », la cloche, le fanal, l’oreille attentive aux meuglements des vaches, les cris dans le porte-voix et l’intensité (et ou le temps) du retour de l’écho.

Dans la modernisation de la flotte de ces caboteurs en bois, on utilisa de plus en plus le fer. En effet, après la deuxième grande guerre mondiale, ce matériau devenait disponible et, en fonction des changements du marché, il devenait essentiel de modifier, et surtout de renforcer la structure de ces bateaux. C’est ainsi qu’on utilisa des pièces de fer pour renforcer les points vulnérables tels les côtés des écoutilles, des « choux » i.e. des pièces de fer pour couvrir l’étambot afin d’assurer une plus grande résistance de la proue. D’autres pièces telles que des supports pour la pompe à l’eau, la batterie, la fabrication de réservoirs à essence seraient fabriqués dorénavant en métal. Le chantier maritime de Saint-Laurent, était souvent sollicité pour ces modifications, réparations, ou ajouts car ils étaient alors équipés de tours à fer modernes. Les employés de la « machine shop » étaient souvent affairés à réparer des moteurs, des arbres de transmission communément appelés « shaft » ainsi que des hélices brisées ou tordues. Monsieur Roméo Fillion a même inventé un treuil parfaitement adapté aux besoins des navigateurs. Il s’agit du treuil « Orléans ». Il aura été expérimenté pour la première fois sur le MONT JOLI en 1954. Deux ans plus tard, après divers ajustements, il a été mis en marché. Ainsi, il n’était plus nécessaire de « swigner le bôme ».



Treuil Orléans (source : Diane Bélanger)

À quelques exceptions près, la mécanique et le gréement furent installés dans des chantiers spécialisés comme ceux situés à Québec et à Lévis. En somme, au fil des ans et compte tenu des développements technologiques, la forme des caboteurs de bois a été largement modifiée en fonction du changement dans les besoins des marchands, de la nécessité de faire de plus grandes distances sur le fleuve et d’être capable de mieux affronter les caprices de celui-ci dans la « vastitude » de son estuaire. Rappelons-nous ici des particularités du fleuve sur toute sa longueur en lien avec le temps changeant, les courants, les chenaux maritimes ainsi que les « accidents de parcours » tels les hauts- fonds, les récifs ou les côtes mal accueillantes. Ainsi, les navires devenaient plus gros, plus complexes, tout en demeurant quand même à la merci des extravagances d’un cours d’eau pas encore tout à fait apprivoisé.



Photos : Coll. René Beauchamp, Benoît Lavoie et Robert Desjardins



Une exception ou deux...


Coll. René Beauchamp


Source : Diane Bélanger (livre)


ORLÉANS *
*Aussi CHARLENEST, HAVRE-AUX-MAISONS
HAVRE ST-PIERRE



4. Constructions et lancements


Rappelons d’abord que la plupart de ces caboteurs en bois ont été construits dans des chantiers improvisés, en plein air, sur la grève. Pensons à Cap-à-la-Branche à l’Île aux Coudres, Cap-aux-Corbeaux, à Baie St-Paul, à l’Île-aux-Grues, au Bic. Après avoir pris la décision de construire, le premier hiver servait à trouver le bois. Au début, on le trouvait à même les terres environnantes (flancs de montagne, boisés de plaine...). Avec le temps, les belles pièces devenaient plus rares et il fallait aller les chercher plus loin, sur la rive opposée du fleuve et même les acheter de marchands de bois de Montréal par exemple (BC fir). La construction même démarrait en hiver ou au printemps après avoir réalisé la maquette finale et fait approuvé les plans qui en découlaient. Par la suite, on démarrait la construction. On bâtissait « sur la draft(e) » ou en lisse (voir Michel Desgagnés, 1977). Les gabarits étaient fabriqués. Les premières pièces qui allaient déterminer la solidité et l’allure étaient assemblées : quille, étrave, étambot, grand’barre et aiguille. Puis, c’est au tour des membres et des couples. La photographie ci-dessous illustre la « membrure » lorsque terminée du futur caboteur LA GASPÉSIENNE.



Coll. Jean-Sébastien Barriault


Par la suite, la carlingue, les serres, les baux, le veuglé et le bordé (assouplis dans une chaufferie) sont mis en place. Cette étape donne la forme définitive à la coque du caboteur. De là, le revêtement et le calfatage complétait la coque. Enfin, on entreprenait la finition.



Coll. Jean-Sébastien Barriault



Coll. Jean-Sébastien Barriault


La photographie de gauche ci-dessus montre LA GASPÉSIENNE à une étape avancée de sa construction. Celle de droite la présente, prête à être lancée.

Vu d’un autre angle, les photographies du F MARY (ci-après) illustrent bien l’état avancé des travaux et la forme définitive du caboteur peu avant le lancement.



Coll. Benoît Lavoie et Réal Harvey



Coll. Benoît Lavoie et Réal Harvey


Le lancement de ces navires était effectué en général de deux façons : en parallèle au front d’eau ou perpendiculaire à ce dernier par la poupe. Exceptionnellement, certains de ces caboteurs construits à l’Île d’Orléans ont été lancés de côté, avec un angle de 45 degrés par rapport au plan d’eau. Il se faisait de préférence aux grandes marées de mai, à bonne heure le matin avec tout le cérémonial d’un grand événement (notables de la place, baptême, présence du maître- charpentier et des ouvriers, le capitaine et les membres de la famille, les paroissiens souvent en grand nombre). Le lit formé de deux rails appelées limandes et de petits charriots sur roulettes nommés anguille étaient badigeonnés d’huile de poisson affin d’assurer une belle « glisse ». Sous-estimant la solidité du lit ou de l’assise sur lequel il était construit, il arrivait parfois que ce lit se brisait sous le poids du navire lors du lancement. Il fallait alors réparer et recommencer à la prochaine grande marée. Certains chantiers étaient munis d’un « slip » ou traîneau i.e. d’un lit permanent. C’était le cas du chantier maritime de St-Joseph-de-la-rive et celui de Saint-Laurent à l’Île d’Orléans. Les probabilités d’accidents lors de la descente étaient faibles du fait qu’il y avait un système de freinage permettant de contrôler la vitesse de descente. Ces lits servaient aussi pour le retour des caboteurs en cale sèche à l’automne, à la fin de la saison du cabotage. Ils étaient remontés à l’aide d’un treuil mécanique qui tiraient des câbles métalliques installés à l’avant du lit. Celui du chantier de St-Joseph-de-la-Rive est aujourd'hui encore fonctionnel.

Les quelques photographies ci-dessous illustrent divers modes de lancement. Pour le lancement en parallèle, le navire glisse sur les lisses et tombe littéralement dans l’eau avec un fort angle. Ainsi, il déplace un volume d’eau impressionnant et provoque une vague qui peut facilement inonder une rive opposée lorsque trop près du secteur de lancement. Pour ceux lancés à 45 degrés, il existe toujours une possibilité, mais moindre. Ce problème ne se pose pas pour un lancement perpendiculaire au plan d’eau



Coll. Benoît Lavoie



Coll. Benoît Lavoie



Coll. Benoît Lavoie


Lancement de côté, parallèle au plan d’eau du LA RIVIÈRE MALBAIE à La MALBAIE en 1944.



Coll. Soc. D’histoire et de généalogie de Rivière-du-Loup


Spectaculaire lancement de côté du ST-JEAN à Rivière-du-Loup en 1942.



Coll. Benoît Lavoie


Le M. P. EMELIE en position de lancement à la verticale du plan d’eau, par la poupe en 1957 à St-Bernard de l’Île-aux-Coudres. De cette position, les limandes et leurs assises sont clairement identifiables.



Lancement à 45 degrés du caboteur ORLÉANS à Saint-Laurent, Île d’Orléans en 1946.
Coll. Benoît Lavoie (Source : Diane Bélanger (livre)




Lancement à 45 degrés du caboteur ORLÉANS à Saint-Laurent, Île d’Orléans en 1946.
Coll. Benoît Lavoie (Source : Diane Bélanger (livre)



La pose du moteur et du gréage était effectuée après le lancement la plupart du temps dans des chantiers à Lévis et à Québec. Selon nos sources, dans la région de Charlevoix, seul le M. P. EMELIE a été complètement équipé à son lieu de construction i.e. St-Bernard de l’Île-aux-Coudres.

5. Les transformations


La transition entre la goélette équipée de voiles et le caboteur en bois à moteur a nécessité des modifications majeures pour ceux qui désiraient réaménager leurs bateaux à voile afin d’y installer un moteur. À l’arrière, il était nécessaire de faire de la place pour ce nouveau genre de propulsion. Pour y arriver, il fallait surélever la cabine et enlever au moins un mât. La disparition de voiles et de cordages laissaient place à une nouvelle surface pour placer la marchandise, tant dans la cale que sur le pont. La figure qui suit montre un très bon exemple des modifications assez radicales nécessaires pour passer de la goélette au caboteur.



Coll. Benoît Lavoie


Nous voyons ici la goélette CORONATION dans les années 1920 et son changement majeur lorsque modifié en caboteur à moteur. La « cabine » est proéminente et la proue a maintenant un gaillard sur lequel s’élance un mât de charge équipé d’un treuil.

Souvent, à l’achat d’un caboteur usagé, les nouveaux propriétaires effectuaient des travaux de transformation sur leur nouvelle acquisition afin de rendre le bateau plus pratique en fonction de la vocation qu’ils souhaitaient leur donner. C’est le cas du H. C. MARCHAND qui, lors de sa construction à Saint-Laurent était destiné au transport de passagers et de marchandise entre l’Île d’Orléans et Québec. Devenu trop petit pour ses besoins, Hector Coulombe le vendit à Théodore Desgagnés de l’Île-aux-Coudres. Ce dernier ne l’utilisa que pour transporter de la marchandise, d’où la nécessité de le transformer. L’image qui suit nous donne une idée des modifications importantes apportées au bateau.




Coll. Benoît Lavoie et Famille Perron


Nous observons sur la photographie de droite que les cabines servant aux passagers ont disparu, que le mât arrière a été enlevé et que l’hébergement, la timonerie et la cheminée sont concentrées à l’arrière afin de maximiser l’espace pour la marchandise.

D’autres transformations de moindre importance ont quand même engendré des changements notables dans l’allure de ces caboteurs de bois. C’est le cas du caboteur ALYS (ci-dessous).



Coll. Benoît Lavoie

Remarquons sur l’image de gauche l’héritage des anciennes goélettes : étrave courbée, voile sur le mât principal et sur le devant de la proue, cordages multiples. À droite, les lignes sont plus simples et la partie « chambre » est de plus grande dimension. Une nouvelle timonerie plus spacieuse est construite sur la chambre.

La nécessité d’un plus grand confort devenait de plus en plus évidente au fur et à mesure que les caboteurs de bois augmentaient leur autonomie et parcouraient en conséquence de grandes distances entre les Grands Lacs et le Golfe Saint-Laurent. Ainsi, la partie arrière a été fermée jusqu’au franc-bord sur plusieurs caboteurs anciens. Le RIV. OUELLE en est un bon exemple.



Coll. René Beauchamp


Sur la photo de gauche, la partie arrière du pont est ouverte sur l’extérieur tandis que sur celle de droite, elle est fermée, permettant ainsi d’élargir les chambres au détriment cependant d’une perte d’espace souvent utilisé pour corder de la « pitoune ».

Dans les années 1970 et au début des années 1980, la plupart des caboteurs de bois sont vendus et leur vocation change d’une façon drastique. Pour se donner une idée, mentionnons que le RIV. OUELLE est devenu un restaurant-bar flottant et que le ST- ANDRE a été utilisé comme bateau de croisière sur le fleuve. Quelques illustrations ci- dessous donnent une idée sur les changements apportés à ces caboteurs.



Coll. René Beauchamp
Le RIV. OUELLE en 1947 et L’ANGE DANIELLE (ex RIV. OUELLE) environ 35 ans plus tard.




Coll. René Beauchamp
Le ST-ANDRÉ, de caboteur à bateau de croisière devant Québec dans les années 1980.




6. La durée de vie


Au début des années 1930, après la « grande crise », la reprise économique fit en sorte que plusieurs capitaines de goélettes converties en caboteurs à moteur voulurent se départir de ces dernières et se « moderniser » en faisant construire de vrais caboteurs en bois à moteur.

Cet abandon des vieux bateaux est bien exprimé dans les propos de Gérard Harvey :

« Ces années-là (1930, 1940) marquèrent vraiment l’ère du renouveau, consommant par le fait même la disparition de la vieille flotte devenue pitoyable. Le problème était général autour de nous; il se posait à l’échelle du Saint-Laurent. Tous ces voiliers convertis en navire à moteur vieillissaient prématurément, éreintés par une mécanique transplantée qu’ils semblaient vouloir rejeter. Poussifs, ils flottaient péniblement et leur corps se tordait entre une proue qui reniflait les nuages et une poupe au bord de la noyade. »

Le capitaine Éloi Perron, dans ses mémoires, donne l’exemple du vieux ST RITA :

« La coque était ondulante, il s’écrasait lorsqu’il était à l’échouage, laissant des jours où l’eau pénétrait lorsque la marée montait…un vieux rafio quoi! On pompait 3600 coups à l’heure sans trop savoir s’il y avait un problème particulier. En le démantelant, ils se sont aperçus qu’une pièce du fond avait cassé et on l’avait remplacé par un autre morceau. L’erreur a été de prendre de l’épinette, le pire type de bois pour çà. Dans l’eau, ça s’effiloche et ça perd tout son corps. C’est comme s’il n’y avait pas eu de morceau... »

Michel Desgagnés estime qu’un bateau fait de bois bien construit destiné au transport de marchandise peut naviguer une quinzaine d’années avant que ne paraisse les premiers signes de vieillesse : pourriture sous l’effet de l’humidité et des chocs successifs lors des accostages sur les bordés, par exemple. La majorité des caboteurs en bois avaient donc besoin d’un radoub important après une vingtaine d’années.

Un inventaire et une analyse statistique faits par l’auteur de ce site a permis d’en arriver à une vision réaliste de l’état des choses. Leur durée de vie réelle est présentée dans le graphique qui suit.


Source : Robert Desjardins

En éliminant les pertes de caboteurs dues aux collisions et aux feux, nous avons pu analyser 89 cas à partir d’un tableau synthèse que la lectrice et le lecteur trouvera dans la dernière section du site. Il en ressort que la durée de vie est en moyenne de 32.1 ans, avec une valeur médiane de 29 ans, ce qui est plus représentatif de la réalité. Un total de 62% des caboteurs étudiés ont eu une durée de vie située entre 20 et 30 ans. Selon nos sources, le LOUIS G. (ex QUINETTE) est celui qui a navigué le plus longtemps comme caboteur transportant des marchandises avec 53 ans de durée de vie. Notons qu’en 1941, ce caboteur a subit des modifications importantes. Il était fréquent que ces bateaux soient remis en état afin de leur donner une seconde vie. Le PASPÉBIAC a vécu 81 ans mais il a été reconstruit trois fois. Peut-on le considérer comme le plus vieux? Nous ne l’avons pas retenu. De plus, il aura été une goélette durant plus de 30 ans.

7. En conclusion


De ces goélettes à fond rond qui étaient souvent contrôlées par les conditions climatiques, qui étaient difficiles à charger lorsqu’obligés de s’échouer sur les battures parce qu’il n’y avait pas de quais, les artisans en sont arrivé à des caboteurs qui ont eu une utilité certaine et qui pouvaient faire le travail en fonction des besoins du marché. Leur autonomie permettait de donner des dates de livraison réalistes et ce, avec plus de sécurité pour les personnes et les biens. Plusieurs quais ont été aménagés avec le temps, ce qui fait en sorte que l’échouage sur les battures pour les « canadiennes » ou les « fonds plats » n’était pratiquement plus nécessaire. Il est loin le temps où il fallait pousser la goélette avec les « perches » afin de la sortir des battures souvent vaseuses pour l’amener au large, des petites «chaloupes à moteur » qui les avaient remplacées et qui étaient aussi utilisées pour pousser le bateau quand il n’y avait pas de vent. Enfin, les premières expériences souvent désastreuses de l’installation de moteurs à essence dans les caboteurs sont tombées dans l’oubli. Les caboteurs de bois à moteur étaient devenus moins « énergivores » et plus fiables grâce à l’utilisation du moteur diesel. 

Pour des artisans qui n’avaient comme connaissances de la construction de navires que celles transmises de père en fils et une qui ne possédaient qu’une modeste maîtrise de la mer, plusieurs auront su réaliser des chefs d’œuvre. Ils méritent notre admiration. Ces caboteurs auront été la plupart du temps construits dans un chantier improvisé, sur la « grève », sur ou non loin du terrain du propriétaire. La qualité de construction du caboteur en bois dépendait de la précision et de l’exactitude du plan, du choix du bois utilisé en fonction des différentes parties du navire et de l’habileté de chaque ouvrier dans leurs tâches respectives.

Le cabotage artisanal n’a que peu à envier aux autres formes de transport lorsqu’on compare les technologies de l’époque et les moyens matériels. Comme dans d’autres métiers, certains étaient plus compétents que d’autres et la durée de vie des bateaux s’en ressentait. Un bateau de bois avait des limites physiques où la solidité et la sécurité devenaient plus difficiles à assurer. Le plus long construit au Québec fut le CONRAD MARIE (ex L’EMMANUEL) qui mesurait plus de 150’ avec un tonnage brut de 349T. Il est suivi de près par l’ORLÉANS qui mesurait environ 130’ mais avec un tonnage brut de 337T.

Les caboteurs de bois à moteur avaient cependant en moyenne un peu plus de 60’ de long et près de 70 tonneaux de jauge. Parmi les plus petits, notons le CECILIA L (37’, 16T) et l’ÎLE AUX CANOTS (32’, 14T). Après la guerre et surtout durant les années 1950, on se risqua à construire des caboteurs plus longs avec une capacité de charge plus grande. Pensons au M. P. EMELIE, au ST-ANDRE, au JEAN YVAN entre autres. À titre comparatif, le tonnage moyen des goélettes entre 1860 et 1879 était de 51T pour 115 bateaux. Entre 1940 et 1959, ce tonnage moyen était passé à 148T et ce, pour seulement 39 caboteurs en bois. La photographie ci-dessous montre ce que peut représenter dans le réel un caboteur en bois de 270T (le MP EMELIE construit en 1957 et qui mesure 110’ de long)) et un de 95T (le TBE construit en 1942 et ayant 72’ de long).



Coll. Michel Perron

Les nouvelles technologies ont permis aux caboteurs d’aller plus loin avec plus de matériel à transporter et ce, avec une plus grande régularité et une sécurité accrue. Or, le coût exorbitant de construction d’un bateau en bois de ce type, l’amélioration de l’infrastructure routière et la concurrence de d’autres types de transport (camions, trains) eurent tôt fait de donner le coup fatal à ce genre de transport de marchandises. Michel Desgagnés, dans son livre « Les goélettes de Charlevoix » édité en 1977 décrit cette incontournable réalité en ces termes :

«En dépit de toutes ces améliorations, la goélette (sic) est toujours demeurée un navire de faible tonnage et plutôt lent. Face à des dépenses accrues occasionnées par les salaires de l’équipage, la consommation du moteur et l’entretien de l’équipement, ses revenus sont vite devenus insuffisants. En somme, malgré la bonne volonté et la ténacité de ses propriétaires, ce type de navire a été dépassé par les nouvelles exigences du cabotage. Les rares goélettes qui survivent résistent bravement au vieillissement et à la compétition des navires d’acier, mais ce n’est qu’une question de temps. ..Bientôt, il ne restera plus un seul calfat pour calfater les goélettes et plus un seul chantier maritime, dans Charlevoix, où elles pourront hiverner et être réparées.»

Selon nos sources, le dernier voyage de marchandise (de la « pitoune ») fut réalisé en novembre 1977 lorsque le GEORGES HÉBERT, un caboteur de 227 tonneaux construit en 1956 transporta sa charge sur le fleuve Saint-Laurent (ci-après). Il a été vendu à des intérêts étrangers au début de 1978. Il sombra dans le Golfe du Mexique en juin de la même année.



Coll. Benoît Lavoie

Le GEORGES HEBERT en 1977



Références :
Livres: Bélanger, Diane (1984) « La construction navale à Saint-Laurent Île d’Orléans », Bibliothèque David Gosselin, Saint-Laurent, 149 p.
Desjardins, Robert (2012) « Inventaire des caboteurs en bois à moteur » Tableau synthèse
Desgagnés, Michel (1977) « Les goélettes de Charlevoix » Léméac, Éd., Montréal, 182 p.
Harvey, Gérard (1974) « Marins du Saint-Laurent » Éditions du Jour, Montréal, 310p.
Perron, Éloi (Capitaine)(2007) « Les mémoires du Capitaine Éloi » Éditions du Bien Public, Trois-Rivières, 536 p.

Photographies : Jean-Sébastien Barriault, Les Méchins
René Beauchamp, Montréal
Michel Desgagnés, Baie-St-Paul
Claude Gagnon, La Malbaie
Réal Harvey, St-Louis-de-l’Île-aux-Coudres
Benoît Lavoie, Baie-St-Paul
Michel et famille Perron, St-Louis-de-l’Île-aux-Coudres
Société d’histoire et de généalogie de Rivière-du-Loup


Retour en haut de page






© 2013 Robert Desjardins. Tous droits réservés.